Xue Bing serappelle à quel point il était concentré lorsqu’il dirigeait les séances de team-building. L’escalade était l’une des activités qu’il menait souvent pour des groupes de clients. Cet exercice demandait toute son attention. Il devaits’assurer que les harnais de sécurité et les casques étaient ajustés correctement, afin que personne ne se blesse. Il devait remarquer les besoins de chaque participant et s’y adapter. C’était comme si son esprit excellait sous pression. « Quelques secondes de plus et c’était trop tard. Heureusement, j’étais rapide ! »

Xue poussaitses clients à faire face à leurs peurs, à se faire confiance et à repousser leurs limites. Et ils l’en remerciaient. Un succès en entraînant un autre, vingt ans se sont ainsi écoulés dans un tourbillon de journées de travail, d’aéroports et de chambres d’hôtels. Pendant des années, il a donné le meilleur de lui-même pour atteindre ses ambitions grandissantes. Et pendant cette période, il pouvait compter sur ses facultés cognitives. Il se décrit commeétant logique, constructif, précis et extrêmement réactif. Le temps nes’arrêtait pas. Et lui non plus.

Quand a-t-ilcommencé à s’essouffler ? Ça a été progressif, au cours de l’année 2016. Avant, il se plongeait dans son travail avec ses clients. Il aimait rire et partager un moment de camaraderie avec ses collègues à la fin d’une journée de travail. Maintenant, il regardait les minutes passer et avait hâte que les séances se terminent. Maintenant, il se retirait dans sa chambre d’hôtel au lieu de partager un repas avec ses collègues. Et il commençait à douter. Douter qu’il était assez bon, qu’il était toujours compétent pour son travail.

Il se disaitqu’il était fatigué. Mais c’était une fatigue particulière. Le contact avec lesautres semblait être dénué de sens. Et certaines pensées commençaient à le perturber. Pour s’apaiser, il avait besoin de calme. Il disait qu’il était malade pour ne pas aller au travail. Il se murait chez lui et devenait de plus en plus silencieux. Il s’énervait lorsque sa petite fille se mettait à chanter ou à danser. Elle avait peur de lui. Sa femme essayait de lui parler, mais il la rejetait, elle aussi. À la fin, il ne lui parlait plus du tout, et elle est partie vivre dans sa famille avec sa fille. Maintenant, ilétait seul.

Il s’était isolé autant que possible. Et pourtant, ce n’était pas jamais assez. Ses pensées effrayantes étaient de plus en plus fortes. « Je sentais une pression dans mon cœur », a indiqué Xue. Cette pression était telle qu’il ne pouvait pas respirer. Sa voix intérieure lui proposait toujours la même solution : Tu es tellement fatigué. Rien ne te retiens. Escalade le rocher
sans casque ou harnais. Monte au sommet. Et saute.

La femme de XueBing avait déménagé, mais elle n’avait pas laissé tomber son mari. Un jour, elle a réussi à le persuader à dîner avec elle dans un restaurant de grillades. Et c’est dans ce restaurant qu’il a parlé pour la première fois de tout ce qu’il avait caché et qu’il lui a expliqué qu’il ne comprenait pas pourquoi il souffrait autant. Mais elle avait un pressentiment. Elle connaissait un collègue qui s’était suicidé et elle-même avait souffert de dépression.

Elle adonc insisté pour que Xue consulte un médecin. Et le médecin l’a écouté parlerde ses nuits d’insomnie, des reproches qu’il se faisait, de la peur de l’échec et de sa dangereuse voix intérieure. Xue se souvient encore de la conclusion du médecin : « Vous souffrez d’un grave trouble dépressif ».Et : « On peut vous aider. »

Lorsque Xue aremarqué qu’il se sentait mieux, c’était tellement convaincant qu’il a osé ycroire. « La pression disparaissait », a-t-il indiqué. Depuis lors,il a fait beaucoup de progrès. Sa femme et sa fille sont retournées vivre aveclui, et il apprécie leur compagnie. Il est retourné au travail à horaire réduitet s’occupe des opérations quotidienes de la société.

Mais il n’estplus le même homme. C’est pourquoi il ne mène plus d’activités avec lesclients, même s’il aimerait le faire. « Comment pourrais-je ? », se demande-t-il. Il a eu des problèmes de mémoire et des difficultés à gérer des situations complexes. Des capacités essentielles pour mener des séances de team-building. Xue a une explication de ce qui s’est passé. L’écart entre les attentes qu’il avait envers lui-même et ce qui était humainement possible est devenu trop grand. Il pense que de nombreuses autres personnes doivent vivre lamême chose. « L’économie chinoise se développe tellement vite. Je pense que de plus en plus de personnes souffrent de dépression », a-t-il déclaré. Il pense aussi que bon nombre d’entre eux souffrent, comme lui, en silence et ne comprennent pas ce qui leur arrive.

Ce sont cespersonnes qu’il veut aider. En général, les personnes atteintes de dépressionfont tout pour le cacher. Le prix de la franchise est intimidant. Pour Xueaussi, l’enjeu est grand. Sa société et lui jouissent d’une très bonne réputation, et il se demande ce que les gens vont penser en entendant son histoire. « Vont-ils me juger et penser que je suis contrôlé par mes émotions ? Ou continueront-ils à me faire confiance pour prendre de bonnes décisions ? » Il ne connaît pas les réponses à ces questions. Depuis toujours, sa mission est de pousser les autres à donner le meilleur d’eux-mêmes et maintenant, il veut faire la même chose pour ceux qui souffrent comme il a souffert. C’est pour cela qu’il veut être ouvert au sujet de son histoire. « Lesfamilles doivent comprendre », dit-il. « Les personnes dépressives ne peuvent pas s’en sortir seules. Elles ont besoin d’une aide professionnelle. »